Infirmière puéricultrice et prévention du bébé secoué
Aujourd’hui, je souhaite mettre à l’honneur Michèle, infirmière puéricultrice. Ces hommes et femmes font partis de ces professionnels de santé jouant un rôle clef dans la prévention du syndrome du bébé secoué en accompagnant les parents.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis infirmière puéricultrice diplômée d’état depuis 2008.
Après 2 années passées en réanimation médico-chirurgicale pédiatriques, puis 2 autres années en pédiatrie générale et néonatalogie, j’ai exercé 10 ans en qualité de directrice de crèche et référente santé d’une association regroupant cinq structures dédiées à la petite enfance.
Depuis un an, j’ai choisi d’exercer en libéral pour recentrer ma pratique sur le suivi de développement de l’enfant et l’accompagnement de ses parents.
En parallèle, je continue de me former en permanence pour accompagner au mieux l’enfant et sa famille, notamment au travers de formations en psychologie de l’enfant, troubles du neurodéveloppement, autisme, et guidance parentale. Cette expertise m’a permis de co-fonder le parcours de soin imaba, une plateforme qui participe au repérage précoce des troubles du neurodéveloppement.
Pourquoi choisir le métier d'infirmière puéricultrice ?
Aussi loin que je me souvienne, c’est le métier que j’ai toujours voulu exercer. D’abord, il s’agissait d’être « infirmière auprès d’enfants ». Puis très vite, j’ai compris qu’exercer auprès de l’enfant ne s’envisage que dans une relation triangulaire avec l’enfant et sa famille. Nous n’avons qu’un impact limité sur la santé de l’enfant si nous ne prenons pas soin d’être à l’écoute des préoccupations et difficultés parentales et ne nous assurons pas d’obtenir leur adhésion.
Avez vous été confronté au SBS ? Avez vous beaucoup de cas ? Qui en était l'auteur (quand c'est possible de le dire) ?
Nous sommes tous confrontés au syndrome du bébé secoué de près ou de loin. Parfois au travers d’un collègue qui nous raconte avec émotion sa dernière garde. D’autres fois, on y est confronté soi-même devant l’état de santé préoccupant d’un jeune enfant pour lequel on suspecte de tels actes. C’est la situation que j’ai vécue, alors que j’exerçais en pédiatrie. Ce nourrisson avait deux mois, et des hématomes entourant ses méninges, caractéristiques de ceux qui surviennent dans de telles circonstances. Les parents consultaient aux urgences désemparés par les pleurs de leur bébé qui par ailleurs refusait une partie de ses biberons. J’ignore quelles ont été les conclusions de l’enquête sur leurs responsabilité dans les blessures de leur bébé, toutefois il ne fait aucun doute que ce bébé avait été secoué, et que ces parents-là étaient épuisés et, dans leur détresse, ont eu raison de se rendre aux urgences afin d’éviter de produire ou reproduire ce geste.
Arrivez vous à vous détacher de la situation ou au contraire vous vous impliquez personnellement ?
J’ai essayé de me détacher émotionnellement des situations difficiles, mais je me suis rendue compte que ça ne faisait pas de moi une meilleure professionnelle : rester détaché, c’est mettre une forme de distance, et ne pas être authentiquement, vraiment là. Cette famille est en souffrance, et a besoin d’une écoute authentique sur ses difficultés, de mettre des mots sur ce qu’ils vivent. J’ai pris le parti d’être désormais aussi impliquée que possible, sans toutefois transférer mon propre vécu de parent ou mes représentations personnelles. En somme, je m’implique émotionnellement parce que j’ai besoin de ça pour être dans l’écoute et l’empathie des familles, dans la compréhension de ce qu’elles vivent. En revanche, je veille à m’affranchir de tout jugement ou débat d’opinions, qui n’ont pas leur place dans le soin : ce sera le travail des enquêteurs et de la justice.
Que peut apporter l'infirmière puéricultrice dans la prévention du SBS?
L’infirmière puéricultrice dispose d’une double expertise : le soin et le développement de l’enfant d’une part, l’accompagnement des parents d’autre part.
A ce titre, il est utile que nous nous placions en amont des difficultés parentales, dès le projet de fonder une famille et le temps de la grossesse, et dans les premiers jours qui suivent la naissance. (je regrette à cet effet que les infirmières puéricultrices soient encore sous-représentées dans les services de maternité).
En effet, la société met une grosse pression sur les jeunes parents : l’enfant «devrait» faire ses nuits à 4 mois, ne pas pleurer sous peine d’être taxé d’enfant capricieux et de parent laxiste, marcher à 12 mois, et être peu souvent malade, permettant à ses parents d’être ainsi plus rapidement fonctionnels au travail. Ceci instille peu à peu un sentiment d’anormalité chez les parents, d’incompétence face à leur enfant, lorsque celui-ci ne colle pas au schéma auquel ils s’attendaient.
A mon sens, la première prévention réside dans la compréhension de ce que représentent les chamboulements avec un nouveau-né, de ses besoins. Les parents auraient davantage confiance en eux s’ils savaient quels sont les besoins de leur tout petit, s’ils savaient qu’après la naissance vient le temps de la rencontre, et que celle-ci prend des semaines, des mois d’essais-erreurs, avant de savoir s’ajuster aux besoins de son tout-petit. Se tromper ne les rend pas moins bon parents, c’est à force d’expériences qu’ils deviendront experts de leur enfant. Dans une société de compétition, il faut apprendre qu’en tant que parent (et ailleurs aussi) se tromper n’est pas un échec mais une opportunité d’apprendre .
Et un parent qui se sent plus compétent pour s’occuper de son enfant aura probablement davantage de ressources pour faire face aux pleurs de son bébé.
S’agissant des professionnels, nous avons notre place pour l’aborder en cours de formation des professionnels de l’accueil du jeune enfant. Il me semble que ça l’est insuffisamment. Si les professionnels des crèches et des maisons d’assistantes maternelles sont relativement protégés par le fait d’exercer en équipe et d’être en possibilité de passer le relai, les assistants maternels exerçant seuls à leur domicile ou au domicile des parents sont particulièrement vulnérables et doivent absolument être régulièrement rappelés à être à l’écoute de leurs limites et sur les réflexes à adopter pour sécuriser l’enfant.
Comment en parlez vous? A quel moment?
Je me saisis de chaque opportunité pour valoriser les parents dans leurs compétences.
Lorsqu’ils me disent « je ne sais plus quoi faire pour le calmer, j’ai essayé 50 positions, il n’y a rien qui lui va », je leur réponds « c’est super ! Vous avez vraiment essayé tout ce que vous pouviez, bravo ! ». Parce que c’est vrai : comment imaginer qu’un parent qui a essayé tant de propositions de solution soit un mauvais parent ? Il a passé du temps à élaborer différentes stratégies, à rechercher ce qui apportera un meilleur confort à son bébé, une réponse à ses pleurs. Il est aussi bon que possible pour cet enfant là.
Et puis aussi « merci pour votre confiance, nous allons voir ensemble ce que nous pouvons faire de plus ». Parce que si ces parents ont essayé tout ce qui était à leur portée, parfois des réajustements sur les besoins de cet enfant là ou sur la façon de les prendre en compte sont à opérer pour apaiser la situation. Et puis aussi parce qu’il est fondamental qu’ils sachent que lorsqu’ils demandent du relai, ils sont accueillis. Que se passerait-il s’ils avaient le sentiment de déranger lorsqu’ils demandent de l’aide ?
S’agissant des professionnels de l’accueil du jeune enfant, nous devrions davantage les former à l’écoute et la gestion de leurs propres émotions : être bienveillant avec l’enfant nécessite d’être bienveillant avec soi-même, avec ses propres limites, et celles de ses collègues. Chacun à ses propres limites, différentes d’un jour sur l’autre. On peut comprendre que l’on soit un jour dépassé par les pleurs ou le comportement d’un jeune enfant. Ce qui n’est pas acceptable, c’est de ne pas avoir la ressource de mettre l’enfant en sécurité le temps de reprendre son calme, c’est de perdre le contrôle. Accepter d’être faillible, et de passer le relai lorsque l’on travaille en équipe en est une clé. Accueillir avec bienveillance le besoin de relai, proposer son aide, remercier le collègue d’avoir sollicité du relai, en est une autre.
Avez vous identifié des difficultés dans l'application de la prévention? Pourquoi? Avez vous des idées de changement, d'amélioration?
Le proverbe dit « il faut un village pour élever un enfant ». Il faut donc que soit normalisé le sentiment même fugace d’avoir atteint ses limites, son besoin de relai, sa difficulté, même lorsqu’on est professionnel de la garde d’enfant. Tant que l’on regardera l’épuisement et les limites sous l’œil de l’incompétence, on induira chez les parents et les professionnels qui le ressentent une forme de honte et de repli qui les poussera au silence, alors qu’il faudrait au contraire agir dans le sens de normaliser le besoin de répit. Si en milieu de garde individuel cela devient trop difficile pour l’assistant maternel, il doit pouvoir se sentir légitime à demander un allègement du contrat d’accueil ou à proposer une autre solution de garde à cet enfant là et à sa famille.
Par ailleurs, j’ai pu me rendre compte au cours de mon exercice professionnel que les parents sont souvent inquiets à propos de leur enfant par manque de repères de ce qu’il convient de faire dans certaines situations.
Donner des clés aux parents pour comprendre les réactions de leur enfant, leur donner sens au regard de son âge et de son développement, c’est rendre les parents experts de leur enfant, et renforcer ainsi leur confiance en eux. Et ainsi que je l’ai évoqué dès le début de mon propos, je suis convaincue que le syndrome du bébé secoué prends naissance dans le sentiment d’incompétence et dans le fait de ne pas arriver à décoder les besoins de ce tout petit et d’y répondre efficacement.
C’est une des raisons qui nous conduit à militer fermement pour un plus grand déploiement des consultations de puéricultrices : offrir à toutes les familles un espace-temps pour aborder toutes leurs préoccupations au sujet du développement de leur enfant, son alimentation, son sommeil, ses pleurs, leur parentalité, peur épuisement. Être écoutés, entendus, valorisés, et ressortir avec une boussole leur permettant d’être plus autonome avec leur tout petit, et la garantie de pouvoir revenir en cas de besoin, à tout moment.
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